La voix humaine est indéniablement le premier de tous les instruments. Sa souplesse d’intonation, la variété de ses timbres, son pouvoir expressif sont rarement réunis dans un seul instrument. C’est en voulant l’imiter et étendre ses possibilités qu’on a développé et perfectionné la plupart des instruments de musique.
En simplifiant considérablement, on peut dire que la voix naît dans le larynx pendant l’expiration, au moment où la pression d’air envoyée par les poumons met en vibration les muscles vocaux. Ces muscles vocaux, ou muscles membraneux, appelés cordes vocales, sont générateurs du son.
Ainsi, le fonctionnement de la voix dépend de trois éléments essentiels :
- Une arrivée d’air : l’aspiration
- Un réservoir : les poumons
- Un système sonore : les cordes vocales.
Dans la grande catégorie des aérophones, on retrouve ces trois éléments dans la famille à laquelle appartient l’accordéon :
- L’arrivée d’air : bocal, tube, tuyau, soupape
- Le réservoir pour retenir l’air : poumon, outre, soufflet, calebasse
- Le système sonore : l’anche.
Un organe naturel peut jouer le rôle d’une anche, génératrice de sons. On parle alors d’anches membraneuses. Les cordes vocales, que nous venons d’évoquer, peuvent être considérées comme telles. Le syrinx, aussi, par lequel les oiseaux nous font entendre leurs ramage : ce sont les membranes vibratoires liées à des muscles capables de modifier leur position; la variation des sons émis dépend de l’inclination donnée à ces membranes (on appelle aussi syrinx la flûte de Pan, mais cet instrument ne recourt aucunement à une anche).
Un autre type d’anche membraneuse d’une grande importance en musique est constitué par les lèvres. Réunies lors du sifflement, elles font elles aussi office d’anches. Mais surtout, appliquées sur l’embouchure d’instruments à vent tels que les cors, les trompettes, les trombones, les clairons, etc., elles jouent un rôle déterminant dans la production et la qualité des sons obtenus.
Mais, lorsqu’il s’est avisé de fabriquer des instruments de musique, l’homme a très tôt inventé deux types d’anches, qui ont, elles aussi, joué un rôle très important dans la musique de nombreuses civilisations : l’anche battante (simple ou double) d’une part, l’anche libre, d’autre part.
Dans un instrument de musique, une anche est une languette fine et souple qui, fixée à l’une de ses extrémités, est génératrice de sons lorsqu’elle vibre sous une pression d’air (souffle humain ou soufflerie).
On appelle anche battante la lamelle vibrante qui a la particularité de n’effectuer son mouvement que d’un seul côté de son axe de fixation – opposée à l’anche libre qui se meut de part et d’autre de celui-ci; en d’autres termes, l’anche battante revient battre à chaque oscillation le support sur lequel elle est fixée. La support de l’anche battante est appelé rigole ou gouttière.
Le type d’anche simple subsiste dans les bourdons des binious, et la matière en est le roseau. L’anche simple en roseau se retrouve dans les flûtes égyptiennes à deux embouchures, dans les flûtes avec calebasse, la cornemuse, etc. Dans les instruments d’aujourd’hui, l’anche simple en roseau s’emploie pour la clarinette et le saxophone. La partie la plus mince de l’anche, donc la plus flexible, est attaquée directement de face sur la « table » ou elle est fixée.
Les régales, les jeux d’anches de l’orgue, cervelas, trompettes d’enfants, anciennes trompes de voitures, etc. sont dotés aussi d’une anche battante simple, mais en cuivre ou en laiton.
Les instruments construits sur le principe de l’anche double sont eux aussi très anciens. Les chalemies sont très répandues dans les civilisations du Proche-Orient et de l’Europe, ainsi que dans certaines régions d’Afrique. L’aulos de la Grèce antique est constitué d’une paire de tuyaux à anche double. Deux fines lamelles de roseau sont liées et ajustées sur l’embouchure de l’instrument.
En Europe, à la chalemie, jouée dès le XIIIe siècle et qui connut de nombreux perfectionnements à la Renaissance, succède, au XVIIe siècle, le hautbois, typique de la famille des instruments à anche double. Mais cette famille compte également le cor anglais, le basson, le cromorne, la bombarde, la musette, etc. Le hautboïste, pour jouer de son instrument, rendre les lèvres et pince l’anche entre celles-ci. Il force l’air à haute pression entre les deux languettes de roseau qui s’entrechoquent en vibrant.
Ainsi, qu’elles soient simples ou doubles, les anches battantes sont apparues il y a plusieurs millénaires; s’ingéniant à les adapter à toutes sortes d’instruments de matières variées, les hommes ont obtenu, grâce à ce principe, des sonorités d’une grande diversité.
En Occident, d’après les musicologues les mieux informés, il semble que l’anche double soit parvenue vers les XIIe et XIIIe siècles, tandis qu’il a fallu attendre le XIVe pour adopter dans nos pays l’anche simple. Il paraît bien certain aujourd’hui que le fameux orgue hydraulique de l’Antiquité décrit par Vitruve était constitué à la fois de tuyaux à bouche et de tuyaux à anche. S’agissait-il d’anche double, comme dans l’aulos grec, d’anche battante, ou encore d’anche libre? Rien ne permet d’y répondre. Cela ne nous empêchera pas de nous interroger plus loin sur le principe sonore des orgues moyenâgeux, pour aller jusqu’à la régale, à la recherche des premières applications de l’anche libre métallique.
En conclusion de ce très bref aperçu des instruments à anche battante, simple ou double, il faut évoquer l’extraordinaire diversité des timbres obtenus; que l’on songe aux contrastes de couleurs, d’acidité ou au contraire de moelleux dont peut jouer grâce à eux le compositeur d’une œuvre orchestrale. Par ailleurs, c’est aussi en grande partie au moyen des jeux d’anches dont dispose l’organiste que l’orgue produit une grande variété de sonorités grâce à la registration.
Il est temps maintenant d’examiner de plus près le principe sonore spécifique de l’accordéon, l’anche libre.
© 1985 Pierre Monichon