M. E. Leipp, professeur d’acoustique au Conservatoire de Paris, a bien voulu autoriser M. Monichon à reproduire ci-dessous un large extrait de l’exposé qu’il a présenté en 1972 devant le Groupe d’Acoustique Musicale (G.A.M.) de l’Université Paris VI :
Les musiciens attribuent aux sons musicaux trois qualités
- l’intensité,
- la hauteur et
- le timbre
qui correspondent aux caractéristiques physiques de la vibration acoustique :
- le niveau,
- la fréquence et
- le spectre
Étudions les variables de ces trois qualités musicales dans l’instrument qui nous occupe, l’accordéon.
L’intensité
Avec l’accordéon, l’intensité (on l’a vu) est largement réglable au gré du musicien, qui agit à loisir sur la pression du soufflet grâce à ses muscles. Nous avons fait naguère des relevés de la dynamique d’un son d’accordéon, c’est-à-dire des marges entre lesquelles le musicien peut modifier le niveau physique, enregistré en décibels avec l’enregistreur de niveau. A un mètre, pour une note isolée, on peut passer de 50 dB (bruit de fond) à 90 dB sans qu’il y ait un changement notable de hauteur. Nous dirons que la dynamique d’une note d’accordéon est d’environ une quarantaine de décibels.
D’abord, nous savons bien que la sensation d’intensité n’a que des rapports flous avec le niveau en décibels; à même le nombre de décibels, tel son « sonne » beaucoup plus fort si l’énergie de son spectre est davantage concentrée dans la zone sensible de l’oreille (autour de 2000 Hz). Lors des enregistrements que j’avais fait alors, j’avais observé que l’harmoniste, en réglant les accordéons en cause, mettait des niveaux plus faibles vers l’aigu. Il travaillait à l’oreille et avait raison de procéder ainsi, sinon, en raison des propriétés de l’oreille, que les courbes de Fletcher mettent bien en évidence, l’aigu aurait sonné beaucoup trop fort…
D’autre part, un accordéon ne joue pas des notes isolées…C’est un instrument harmonique et polyphonique, et les relevés de niveau que l’on peut faire sur des notes isolées n’ont évidemment qu’un seul intérêt; si les pointes de niveaux restent homogènes sur le diagramme et si aucune note ne se singularise par rapport avec ses voisines, c’est que l’instrument est bien « harmonisé » en niveau. Ceci pour une pression donnée; car il est évident que si la pression change (ce qui est le cas en jeu normal), le débit change et, corrélativement, l’intensité (physique et auditive!)
Musicalement, on retiendra donc que l’accordéon, instrument expressif, a une dynamique assez large, de l’ordre de quelque 40 ou 50 dB en jeu normal.
La hauteur
Quelles sont donc les variables permettant de régler la hauteur de l’anche? Le problème est beaucoup plus compliqué qu’il n’apparaît à première vue, comme d’habitude lorsqu’il s’agit d’instruments de musique.
Il y a d’abord la hauteur de l’anche pincée, considérée comme une verge vibrante libre-encastrée. On sait la calculer avec assez de précision. On a :
Ou N est la fréquence pincée
V la vitesse de propagation dans le matériau
n le nombre de nœuds de vibration (nœuds de vitesse)
I le moment d’inertie de la section droite par rapport à la droite passant par le centre d’inertie
S la surface de la section droite
L la longueur de l’anche
L’intérêt général de cette formule est de mettre en évidence les variables et de permettre de prévoir dans quel sens va changer la fréquence lorsqu’on agit sur l’une d’elles. (…)
En revanche, on se heurte à de difficiles problèmes de couplage. En effet, une anche est toujours montée sur un « corps sonore », associée à un tuyau, à un résonateur, etc. Cette association va déterminer des modifications de hauteur plus ou moins importantes selon l’instrument considéré. Résumons sommairement le problème :
Lorsqu’on couple deux « composants » d’un système vibratoire, on est en présence de deux éléments qui vont nécessairement réagir l’un sur l’autre. Prenons par exemple le cas d’une anche associée à un tuyau (cas du cheng et du khène laotien). Deux forces sont en présence :
– la force de l’anche, qui dépend du matériau, des dimensions, de la forme et de la raideur de l’anche;
– la force de l’onde stationnaire excitée dans le tuyau (l’onde stationnaire est de l’énergie présente à l’intérieur du tuyau).
Si l’anche est très raide, très forte et l’onde stationnaire faible, c’est l’anche qui l’emportera et décidera de la hauteur du son produit par ce tuyau à anche. On peut alors largement recouper le tuyau sans qu’il y ait de changement de hauteur; la longueur influencera surtout le timbre. Par contre, au moindre grattage de l’anche, le son va monter ou baisser selon le cas. Il monte si on enlève du matériau au bout et baisse si on gratte vers le pied de l’anche. Les changements de hauteur sont très perceptibles.
À l’inverse, si l’anche est très faible, c’est l’onde stationnaire qui va l’emporter. C’est alors la longueur du tuyau qui déterminera la hauteur de la note : l’anche se pliera à la volonté du tuyau.
En fait, il n’y a pas de cas « purs » : anche et tuyau réagissent toujours plus ou moins l’un sur l’autre. Mais on pourra agir très finement sur l’accord en modifiant la composante faible de l’association, puisqu’une forte modification de la composante n’agit que très peu.
Revenons au cas de l’accordéon. Ici, pas de tuyaux, mais les anches sont associées à des cavités, des alvéoles, qui jouent le rôle de résonateurs. Les anches de l’accordéon sont « fortes » et les résonateurs « faibles » : les cavités influent peu sur la hauteur des sons. En fait, on vérifie que le son final est très voisin de celui de l’anche pincée. Cela permet un préréglage des anches que l’on peut préaccorder en les pinçant.
Mais si le résonateur ne modifie guère la hauteur des anches, il en change le timbre, et cela nous amène à la troisième qualité du son…
Sonogramme du son do1 d’un accordéon.
Les harmoniques apparaissent sous la forme de traits parallèles. La longueur des la ligne dépend de la durée du son; l’intensité des divers harmoniques est marquée par l’épaisseur du trait. Le « timbre » du son dépend du nombre et de l’intensité relative des harmoniques (et aussi de la façon dont ces harmoniques apparaissent lors de l’attaque). Le fondamental (harmonique 1) est intense, l’harmonique 2 un peu plus faible, le 3 et le 4 très faibles, le 5 intense, etc. Tous ces sons, perçus en bloc grâce aux particularités de l’oreille, ne font qu’une seule note. En fait, on n’entend qu’un do1 de 65 Hz; mais ce son a un timbre particulier.
Tres bien cet article ,mais je constate que les accordeons anciens , peut importe les marques ,avaient plus de cofrre que ceux actuels .On a allégé les carosseries, pour le poids ,et meme avec musique a mano la puissance du son est moindre, et il faut le micro. Dans les années 80 ,j’avais un Maugein 3VX pur musette ,et je vous garanti qu’il donnait ,le son percutant les murs, et rebondissant .Depuis les autres que j’ai possédé ,et celui actuel ,bonne sonorité, mais ne percute pas ; les sons feraient comme une tomate qui s’écrase contre le mur ,sans résonnance .Bien sur le poids ,est beaucoup moindr e,et la construction de la caisse allégée, est aussi en grande partie responsable .Si on remonte encore plus loin, dans les années 30,il y avait des bals dehors ,dans des bistrots ,mais pas de sono. J’ ai eue l’occasion de voir un accordéoniste avec un vieux crosio années 30,qui m’a fait une démo Putain ;il crachait ,et pour tout l’or du monde son proprio ,ne s’en séparerait pas.Si de nouvelles sonorités ont été créees, que l’accordéon de concert est au conservatoire ,c’est une bonne chose; Mais on aura perdu la puissance ,si l’on n’a pas le micro..
Bonjour Jean Claude,
Votre commentaire est très intéressant et d’actualité.
En effet, les caisses plus légères ont peut-être un effet pervers sur la sonorité de l’accordéon.
Dans mon Guide de l’Accordéon, je démontre que la solidité de toutes les composantes sont de première importance vu que la source sonore de l’accordéon est un formant et non pas « une anche amplifiée par je ne sais quel phénomène de transmission de la vibration mécanique » Donc, la stabilité des anches sur les sommiers, la stabilité des sommiers sur la table d’harmonie et la stabilité et l’inertie de l’ensemble de tout ça est important.
Les caisses en carbone ou autre matériaux plus léger diminuent peut-être cette « stabilité » d’où un son moins puissant. Il faudrait plus d’expérimentation pour étoffer cette affirmation mais ce que vous évoquez est bel et bien présent.